Central Térmica de Ebibeyín

Aumento de potencia de la central térmica de la ciudad de Ebibeyín

Bienvenues sur cette page rétrospective du projet « d’augmentation de puissance de la centrale thermique de la ville de Ebibeyín ». Entamons ce nouvel article de manière ludique par une polémique : Ebebiyín, Bebeyin, ou Ebibeyín? Si vous posez pied en Guinée Equatoriale, vous vous rendrez compte assez vite que le nom de cette ville frontalière avec le Cameroun et le Gabon a plusieurs prononciations. Et probablement comme moi vous vous demanderez: « laquelle employer? ». L’orthographe la plus répandue est « Ebebiyín » (sur les panneaux indicateurs, sur internet, etc.), pourtant je lui préfère « Ebibeyín », peut-être un peu par subversion, mais surtout pour une raison simple:

Panneau indicateur - Ebibeyín

Panneau indicateur – Ebibeyín

Après avoir parcouru les quelques 400 kilomètres séparant ce chef-lieu de la capitale régionale, Bata, vous aurez le privilège de passer sous l’immense banderole municipale « Bienvenidos a Ebibeyín ». Mon hypothèse de travail est que si vous voulez connaître le juste nom d’une ville, faîtes donc confiance à ses propres habitants intra-muros pour vous l’apprendre. Alors va pour «Ebibeyín»! Bien sûr les panneaux indicateurs que vous pourriez croiser depuis Bata disent le contraire, mais Bouygues n’en serait pas à sa première erreur…
Une chose est sûre, le nom de cette ville, originaire de l’ethnie Fang, signifie « Attraper les étrangers ». Plutôt cocasse pour une ville frontalière, n’est-ce pas?

1. Périmètre du projet:
Avant que je sois nommé Chef de Site de la région continentale (responsable de succursale), un projet avait déjà eu lieu dans cette région. Primo-géniteur des projets d’Eiffage sur le territoire continental équato-guinéen. Il s’agissait d’un projet d’éclairage public, initié selon le souhait de l’ancien Ministre du Budget de moderniser et rénover sa ville natale. Je n’aurai pas l’occasion de reparler de ce projet car en définitive j’y intervins peu. Recruté bien après son exécution, je n’y vins que pour compter les livrables réellement implémentés (lampadaires et leurs finitions, et kilomètres de câbles aériens et souterrains), facturer le commanditaire et clôturer le projet.
Quoi qu’il en soit, l’excellentissime Monsieur le Ministre poursuivit sa vision de modernité, et suite à notre prestation plus que satisfaisante (malgré le fort turnover de nos expatriés sur le chantier), nous fûmes reconduits pour exécuter le projet d’Augmentation de la puissance de la centrale Thermique de Ebibeyín.

2. Contexte:
Je vous invite à consulter l’article consacré à la Guinée Équatoriale.

3. Objectifs:
Par avance je m’excuse de lever le voile sur la magie de l’énergie électrique, et de faire apparaître la vérité toute crue sur l’inhumanité de la production énergétique.

La ville d’Ebibeyín doit faire face à une nouvelle problématique. Celle de l’augmentation forte du nombre d’habitants, et par conséquent celle aussi de l’augmentation encore plus forte du nombre de connexions au réseau électrique. Ces nouvelles connexions au réseau électrique, souvent pirates, entrainent une demande à laquelle la centrale thermique de la ville n’est pas capable de répondre, sans parler du réseau d’éclairage urbain fraîchement réceptionné (voir plus haut).
De plus, Ebibeyín accueillera de la prochaine Coupe d’Afrique des Nations (CAN GAGUI 2011-2012), la ville doit forcément servir d’exemple pour promouvoir la nation. De nombreux efforts de modernisation sont menés en ce sens: barres d’immeubles résidentiels pour héberger les futbolistas, Château d’eau, distribution d’eau potable […]; l’amélioration de la centrale électrique est un de ceux-là.
L’objectif du projet d’ « Augmentation de la puissance de la centrale thermique de Ebibeyín » est, comme son nom l’indique, d’augmenter la puissance la centrale, mais pas seulement! Il s’agit là de doubler la puissance disponible.
La solution choisie, et préconisée par notre société, fut non pas d’augmenter le parc de production en ajoutant de nouvelles machines, mais d’utiliser un ingénieux système de transformation du signal et de synchronisation des groupes électrogènes, concocté par notre ingénieur metteur-en-route, que je ne saurais vous décrire simplement en quelques lignes.
Oui, vous avez bien entendu! J’ai employé le mot « groupe électrogène ». Si vous êtes un profane, sachez-donc que le terme « Centrale Thermique de production électrique » est en réalité un doux euphémisme pour décrire une grosse batterie de moteurs diesel bien dégueulasses, qui, en plus de produire des Mégawatts comme si il en pleuvait, sont capables de vous déchirer les tympans sans la moindre once de pitié. Oui je sais, moi aussi j’ai été choqué. Aujourd’hui nous savons que 80% de la production mondiale d’électricité est faite à base de pétrole et de charbon, par des légions de machines bien plus dégoutantes et polluantes que les deux moteurs implantés à Ebibeyin, vestiges d’une époque industrielle déjà dépassée. Je me dis: « Heureusement qu’il nous reste le nucléaire pour nous faire rêver! » (Et le photovoltaïque aussi – haha).

Groupe électrogène - Ebibeyín

Groupe électrogène – Ebibeyín

Après cette courte digression relative à la poésie énergétique, rappelons que le projet est de réhabiliter les deux groupes électrogènes CATERPILLAR 300kVA, en une centrale électrique de 2MVA pimpante, prête à accueillir la 28eme édition de la Coupe d’Afrique des Nations.

4. Livrables:
Le projet prévoit la livraison, l’installation et la mise en route des livrables suivants:

  • Mise à la terre par neutre artificiel;
  • Autotransformateur à point neutre;
  • Bobine de point neutre;
  • 2 blocs Cellule HTA;
  • 1 transformateur à huile;
  • 1 Panneau de contrôle de synchronisation des groupes;
  • Rénovation et réhabilitation de la salle de contrôle;
  • 1000m Câble MT souterrain 3×50 aluminium armé ;
  • 500m Câble BT pour sous-station 3×25 cuivre gaine PVC.

5. Planification du projet:
Tout comme le “Palacio África”, il s’agit d’un projet de petite envergure dont le montant total avoisine le milliard de francs CFA (XAF), et pour ce genre de projet, l’exécution est prévue à 6 mois. Cette fois encore nous marchons sur des œufs car, faute de ressources disponibles pour exécuter le travail, le siège aura recours à un chef de chantier freelance, dont le formidable bagou n’a d’égal que sa propension à lever le coude du matin au soir. Dans ces conditions le délai de 6 mois semble difficile à tenir, j’aurais donc la charge de coordonner et de suivre le déroulement des opérations de près, ce qui me contraindra à arpenter les 400 kilomètres de la sinueuse route d’Ebibeyín bien souvent, et de braver les quelques 8 postes militaires barrant la route. Bien que nous soupçonnâmes de nombreux emplois fictifs, et que la caisse de chantier sembla pleine de fausses factures issues d’arrangement avec les fournisseurs locaux, nous n’eûmes jamais de preuves à charge pour sanctionner ces dérives.
De toute façon, là n’était pas notre volonté. Notre souhait était de voir le projet se terminer dans de bonnes conditions, dans le temps et le budget impartis. Déstabiliser le chef de chantier pour le remplacer aurait pour seul effet de troubler l’exécution du projet pendant plusieurs mois. Et bien que son possible successeur puisse être hypothétiquement un homme de bonne vertu, nous avions la certitude que cela n’aurait été qu’une victoire pyrrhique pour l’entreprise. Mon implication croissante dans le monitoring des travaux, et la venue fréquente des ingénieurs du bureau d’étude sur place, permirent de tenir le projet, et respecter nos engagements de Qualité, Coût, Délai envers le commanditaire.

Planning du projet - Central Térmica Ebibeyín

Planning du projet – Central Térmica Ebibeyín

6. Exécution des travaux:

Infrastructures - Central Térmica Ebibeyín

Infrastructures – Central Térmica Ebibeyín

Comme vous avez pu le constater sur le rétro-planning du projet (voir ci-dessus), et bien que cela puisse surprendre pour un projet énergétique, ce n’est pas la partie électrique du projet qui sollicita le plus d’efforts. C’est la réhabilitation de l’annexe délabrée de la centrale thermique en salle de commande de puissance qui monopolisa le plus de nos forces. Revoir la toiture et la charpente, refaire l’étanchéité, mettre le local électrique aux normes, creuser les chemins de câbles, bétonner la structure, réviser le plan de masse […] Ces travaux de second œuvre furent un prérequis nécessaire à l’implémentation de l’unité de production électrique MT, ceci expliquera le déséquilibre lié la répartition des équipes de travail.

Equipes projet - Central Térmica Ebibeyín

Equipes projet – Central Térmica Ebibeyín

Nous voyons bien la dichotomie entre les deux équipes en place :la première est constituée de nombreuses « petites mains », réalisant des travaux de rénovation simples mais harassants, tandis que la seconde équipe est composée de seulement quelques techniciens qualifiés et expérimentés pour mener à bien des opérations de haute technicité et de précision, dans un contexte de courants forts à hauts risques professionnels.

7. Management des risques:
Je ne sais pas si vous vous êtes déjà promené à Ebibeyín, mais le contraste avec la turpitude de vie à Bata est saisissant! Peu de trafic, pas de barres d’immeubles défiant le ciel, pas de cohue aux guichets du Tesoro Publico, pas de fonctionnaires de police imbus de leurs galons […] Aller superviser un chantier à Ebibeyin, c’est un peu comme si votre médecin avait prescrit des antidépresseurs. Management de risques ? Détendez-vous, vous êtes à Ebibeyín !

Pâturages - Central Térmica Ebibeyín

Pâturages – Central Térmica Ebibeyín

Toutefois, même un contexte propice à la villégiature n’est pas exempt de problèmes. N’oublions pas que chaque région a ses endémies.

Les risques logistiques : Dans le cas présent, le premier facteur de risques pouvant altérer l’exécution du projet est bien évidemment l’instabilité de la chaîne logistique. Et oui, Le revers de la médaille d’une ville tranquille et isolée au cœur de la forêt équatoriale, c’est justement d’être tranquille et isolée au cœur de la forêt équatoriale (!). Dans ce contexte de demande supérieure à l’offre, nous avons composé avec les contraintes suivantes :

  • Pénurie d’engins : Lorsque nous travaillons sur des projets géographiquement isolés, avec une vision du business à court terme assez floue, la politique de l’entreprise est de sous-traiter au maximum et de louer les machines, plutôt que d’investir dans l’acquisition interne de compétences, de ressources, et de matériels, qui ne seront probablement pas rentabilisés à moyen terme. Avec un tel paradigme, il incombe au gestionnaire de projet d’anticiper les besoins du chantier suffisamment à l’avance afin d’organiser les opérations avec les fournisseurs et de réserver le matériel. Pour mener ces actions préventives, vos meilleurs atouts seront des outils comme la structure de découpage du projet, la planification des tâches, et le monitoring de l’exécution des travaux pour diagnostiquer les écarts avec le plan de travail et réviser votre tactique le cas échéant. Toutefois, il arrive que certaines ressources viennent à manquer pendant plusieurs semaines, il arrive aussi que votre fournisseur vous fasse faux bond. Le cas échant, c’est le moment de faire valoir vos qualités humaines, au travers de cette richesse que vous envient les chasseurs de tête : votre réseau professionnel ; et donc de faire jouer vos relations personnelles pour « emprunter », le temps d’une manœuvre, un engin au voisin Hyundai.
  • Maintenance des véhicules : Il n’est pas chose aisée de rencontrer un expert en mécanique et électronique Renault Trucks, même en France, encore plus en Guinée Equatoriale, et a fortiori à Ebibeyín. Les grands groupes habitués du travail à l’international, et ayant des projets d’envergure permettant de l’entretenir, implantent localement une chaîne de maintenance pour leur parc de véhicules ; comme par exemple SOGEA chargé, en partie, de construire le tronçon de l’autoroute reliant Bata à Mongomo.
  • Pour notre part, nous nous contentions d’une maintenance préventive périodique, réalisée par un freelance missionné pour l’occasion. Ce qui n’immunise pas malheureusement contre les avaries de chantier. Optez donc pour transférer ce risque à votre compagnie d’assurance ! Et continuez tant bien que mal d’avancer grâce aux indemnisations.
  • Sous-traitants peu scrupuleux : L’une des conséquences d’être dans d’un milieu à forte demande et faible offre, c’est de voir les fournisseurs abuser de leur position dominante. Comme me disait mon agent de transit : « ¡Tienen la sarten por el mango ! ». Lorsque nous avons affaire à des personnes de peu de vertu, il est impératif de bien documenter les prestations à fournir : le périmètre ; les livrables ; le temps d’exécution ; le prix ; Afin d’avoir des arguments forts en votre faveur lorsque viendra le temps d’affirmer avec force que vous ne payerez pas plus que ce qui était initialement prévu.

Défaillance dans la chaîne de commandement : J’ai eu l’occasion de le répéter ailleurs, l’élément fondamental du risque en management de projet est le facteur humain. Cela n’a rien de péjoratif ou de misanthrope. Puisque l’humain est au cœur de l’entreprise, et puisque la première ressource nécessaire à l’accomplissement de tout projet est l’homme, il est bien naturel que sa défaillance puisse en paralyser l’accomplissement. Pour revenir à notre projet, si le facteur humain est un facteur de risques potentiel, c’est encore plus vrai lorsque le projet se déroule à l’international. Cet éloignement entre le staff de chantier, le siège et ces cadres dirigeants entraîne des problématiques difficiles à résoudre, liées à la supervision des hommes, au transfert de l’information, et à la bonne communication en interne. Cet éloignement entraînement nécessairement une plus grande responsabilisation des acteurs et la liberté d’initiative dans le travail quotidien, que le siège attribue souvent par dépit. Cet état de fait entraîne, lorsque les problématiques soulignées plus avant sont mal gérées, une ambiance de méfiance générale fortement propice à la défaillance. Une des motivations premières pour me recruter, et implanter mon poste de responsable de succursale/chef de site, fut justement que je fasse le lien entre le siège et le staff de chantier afin d’apaiser les tensions et d’éviter les dérives, dans le but de mener correctement les projets à leur terme.

  • Surveillance accrue du chef de chantier pour réussir le projet. Cet éloignement géographique fort, entre la maison mère et la succursale continentale de Bata, cumulé à l’éloignement certain entre Bata et Ebibeyín, semble être un terrain propice à la subversion, la désinformation, et le sabotage. Ne dit-on pas « Loin des yeux, loin du cœur » ? Le précédent chef de chantier, qui n’a que trop bien écouté cet adage, fut renvoyé pour raison de défiance, d’alcoolisme, et de procrastination très prononcée. Afin que son successeur ne s’engage pas sur cette voie, il fut décidé que je m’implique d’avantage dans les projets d’Ebibeyín et que les « pleins pouvoirs » soient retirés au chef de chantier. Ce qui m’obligea à une discipline hebdomadaire de 800 kilomètres aller-retour, et de dédier deux jours par semaine à une supervision qui, dans des conditions optimales, n’en aurait nécessité qu’un demi.

8. Clôture du projet:
Bien que mené dans un contexte difficile d’éloignement géographique et d’insubordination (les deux facteurs réunis forment un cocktail explosif), ce projet fut conclu dans les délais impartis sans présenter de problèmes ni insurmontables, ni vraiment ralentissant. La haute qualification de notre ingénieur metteur-en-route nous permit d’accomplir toutes les exigences techniques de pointe du projet, notamment la synchronisation des moteurs lors de la montée en charge, grâce à son expertise très précieuse, surtout dans les moments de panne ou de mise en défaut général.

Il reste un dernier point que je n’ai pas encore évoqué, qui compliqua pourtant substantiellement l’accomplissement du projet, qui nous valut quelques blocages et plusieurs gardes à vue d’employés en pleine nuit. La centrale thermique de Ebibeyín alimentait en électricité principalement le régime d’infanterie de Kie-Ntem, et bien évidemment les quartiers résidentiels du haut gradé en charge du régiment et ceux du gouverneur de province. Autant dire que chaque coupure de courant nous attirait les foudres du potentat local, à tort ou à raison. Mais, en terme de traitement, nous étions bien mieux lotis que les fonctionnaires agents de maintenance de la centrale, qui étaient fréquemment l’objet de menaces ou de mauvais traitements, voire de mutations, de licenciements ou encore d’emprisonnement, lorsque l’alimentation des climatiseurs vient à manquer en pleine nuit (Défauts souvent liés à la vétusté du matériel, à la pénurie de carburant et aux aléas climatiques, et non à la compétence du personnel en place).

Vous comprendrez donc facilement pourquoi ces agents de maintenance étaient rassurés par notre présence, puisque nous apaisions les tensions et étions plus volontiers la cible des pressions institutionnelles. La clôture du projet, et la réception technique des infrastructures par ces mêmes agents, représentants du commanditaire, fut donc accueillie avec très peu d’enthousiasme. Effrayés par les possibles représailles suite à un hypothétique, mais peu probable, dysfonctionnement, ils imposèrent la présence du Gouverneur. Condition sine qua none pour que la livraison des installations ne puisse avoir lieu. Nous fûmes peu enclin à accepter cette requête, puisque cette personne était totalement étrangère au projet, autant contractuellement que techniquement, mais aussi parce qu’en sa présence –pour l’avoir vécu– l’atmosphère frôlait l’état de non-droit. Finalement, après de longues palabres, et profitant d’un sentiment de subversion à l’égard des institutions locales, nous fûmes en mesure d’organiser la réception technique des livrables dans des conditions normales, et de procéder à la Vérification d’Aptitude de la solution dans la bonhommie générale.

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