Suministro Electrico MT/BT del Palacio África
C’est avec une nostalgie certaine – les moments difficiles paraissent toujours plus agréables à postériori – que je vais vous parler du projet d’alimentation électrique du palais présidentiel équato-guinéen de Bata baptisé “Palacio África”.
1. Périmètre du projet:
Cette fois c’est par la petite porte du tâcheron que nous entrons en scène. Notre vaniteux commercial congolais, tout de plaqué-or vêtu, joua de son réseau natal pour nous décrocher un contrat fort intéressant avec PAC International: remettre à niveau l’alimentation électrique du Palacio África. En ce temps cette entreprise congo-libanaise spécialisée dans les “projets haut de gamme” était chargée de la maintenance du palais África. Jusqu’ici relié au réseau du centre urbain par le transformateur du quartier éponyme Muñoz, le palais souffrait de la fébrilité de son signal électrique. Pour assurer son autosuffisance durant les périodes de vaches maigres énergétiques, le versant sud du jardin accueillit un groupe électrogène, imposant comme un long container sec de vingt pieds, et le sous-sol fut bardé d’une division d’onduleurs afin de supporter la houle et le basculement du courant. Malheureusement faire un tourner un groupe électrogène sous sa fenêtre n’est pas très aristocrate – en plus d’être bruyant. C’est en 2009 que fut prise la décision d’y remédier, et en tant qu’agent de maintenance zélé, PAC fut senti pour réaliser ce “projet haut de gamme”, et nous pour sous-traiter l’exécution des travaux pour diversifier les sources d’alimentation électrique des installations du Palacio África.
Par définition, chaque projet est unique, et cette unicité est un des fondements de l’approche projet. Le “Palacio África” ne fait pas exception à la règle, lui aussi apporta son lot d’originalités. L’une des plus significatives était que l’édifice à électrifier n’était autre que la demeure officielle du président lors de ses déplacements sur la partie continentale du pays. L’intéressé a d’ailleurs la réputation d’être une personne accessible lorsqu’il s’agit de faire face au train-train quotidien, magnanime, je m’aventurerai presque à dire sympathique (contrairement à sa femme). Le principal point de complexité n’est donc pas, comme on pourrait le croire, de composer avec la personnification de la Jefatura del Estado, sinon avec son personnel.
En effet, travailler dans le palais présidentiel signifie travailler avec des gens qui sont dans un état de tension permanente. A cause du fort turn-over parmi les effectifs de garde, à cause aussi du contexte sécuritaire difficile en 2010 (après une tentative ratée de coup d’état en 2009). Pour mener à bien ce projet, nous devions donc nous accommoder de l’hystérie collective des soldats, de la paranoïa ambiante, et d’une écrasante inégalité dans les rapports de force: Nous étions du mauvais côté du portail et eux du bon côté du pistolet mitrailleur.
2. Contexte :
Je vous invite à consulter l’article consacré à la Guinée Équatoriale.
3. Objectifs :
L’objectif peut s’exprimer d’une manière différente d’une partie prenante à l’autre:
- Pour le commanditaire, le but affiché du projet est d’améliorer l’indépendance énergétique du palais présidentiel en le reliant à un deuxième sous-réseau électrique urbain. Historiquement relié au transformateur électrique du quartier Muñoz, le palais comptera désormais une seconde alimentation électrique souterraine, connectée depuis la centrale thermique du port, longeant la voie rapide pour finir par pénétrer l’enceinte de haute sécurité de la résidence.
- Pour nous, le sous-traitant, l’intérêt principal de ce projet n’est ni la prouesse technique, ni le gain facile, car au final la marge bénéficiaire sera faible. En réalité, devant nous miroite le prestige de travailler pour son excellence présidentielle et de recevoir un bon point, ce qui nous permettrait d’implanter durablement la succursale à Bata.
- Pour le titulaire du marché, notre donneur d’ordre, l’objectif prioritaire est de nous laisser faire 80% du travail pour que eux puissent se consacrer sur les 20% restants à travailler le papier cadeau et nouer le gros ruban rouge: Loi n°7 – Laissez le travail aux autres, mais récoltez-en les lauriers (cf POWER les 48 lois du pouvoir).
4. Livrables :
Le projet prévoit donc:
- 3000m de câble MT sous-terrain armé cuivre;
- 500m de câble BT sous-terrain armé aluminium;
- La livraison et l’installation de 2 transformateurs huile MT/BT;
- La construction de deux postes de transformation;
- La livraison et l’installation d’un Tableau Général Basse Tension (communément appelé TGBT);
- La rénovation du local TGBT;
- La livraison et l’installation d’un tableau de contrôle pour le basculement du mode d’alimentation;
- Le raccordement des anciennes installations électriques au nouveau local TGBT.
Le tout pour un marché total d’un peu moins qu’un milliard de francs-CFA (XAF). D’un point de vue purement quantitatif, le projet est d’une envergure bien moindre que ceux que nous traitions habituellement (cf: Autovia de Bata; Pico de Basile), certes. Cependant, comme nous l’avons vu précédemment, sur le plan qualitatif le projet laissait espérer de grosses retombées pour accroitre la notoriété de l’entreprise, se doter d’une image d’excellence technologique auprès de personnalités stratégiques, et donc de lever les barrières à l’entrée des marchés énergétiques équato-guinéens.
5. Planification du projet :
Vu au départ comme un projet de faible envergure avec de faibles enjeux quantitatifs, donc perçu comme un projet court, il aura pourtant duré un peu plus d’un an.
Ceci est dû à la combinaison de plusieurs facteurs (nous le savons, la vie est rarement manichéene) non diagnostiqués en amont par le bureau d’études:
- Un terrain marécageux difficile à appréhender;
- De gros enjeux qualitatifs autour du palais présidentiel;
- Un sous-traitant BTP en crise;
- Et un chef de chantier en désuétude, qui prendra un malin plaisir à se faire l’incubateur et l’amplificateur de tous les problèmes.
Ainsi le projet finit par se conclure avec 6 mois de retard, à cause de ce que nous pourrions qualifier avec sévérité de “Sabotage”, ou avec plus de tempérance de disfonctionnement dans le recrutement des collaborateurs puis dans la chaine de commandement et d’information (élément structurel essentiel du travail à l’étranger).
6. Exécution des travaux :
Nous avions en permanence deux équipes, qui au besoin se segmentaient en trois, pour assurer à la fois les tâches de gros œuvre et les actes techniques d’électricité ou de génie civil ; Soit une moyenne de 20 personnes sur l’ensemble de la durée du projet:
7. Management des risques:
Entamons à présent la partie la plus intéressante: les plus anglophiles d’entre nous l’appelleront le “management des risques”, et vous verrez sûrement surgir des termes comme “démarche proactive” etc. Si le langage abstrait vous déroute, ne vous y trompez pas, il est question ici de #GestionDesProblèmes (comprenez: prévoir/empêcher/assumer/résoudre les problèmes). Et là, je dois dire que nous abordons l’aspect du métier que j’apprécie le plus.
Chaque projet amène avec lui son lot d’aléas, et pour celui-ci la majorité des occurrences furent des problèmes humains, pas vraiment étonnant sur un chantier relatif à l’intendance présidentielle, mais tout de même …
Commençons par le sujet trivial des accidents de chantier. Extrêmement commun et pourtant fatalement dramatique lorsqu’on en vient aux dommages corporels. Heureusement nous n’eûmes pas à déplorer de tels cas, grâce à l’adéquate signalisation des zones de chantier et à la bonne application des règles de sécurité et d’usage du matériel de la part du personnel encadrant. Plus humblement je dirais que les chantiers étaient peu accentogènes par essence. Les zones de travaux ne se situaient pas pour la plupart à proximité de voies de circulation, et le peu de personnel impliqué sur le projet permirent d’avoir une bonne visibilité des mesures de sécurités implémentées.
- Le seul évènement notable fut la section du câble MT sous-terrain, fraîchement déroulé, par une pelle mécanique du consignataire DELTAMAR. La présence de celui-ci était pourtant signalé selon les règles de l’art, par du grillage avertisseur rouge corrida, et même le tronçon encore délimité par du Rue-balise n’eut pas raison de l’impertinence du conducteur d’engin. Heureusement pour lui que la ligne électrique de Moyenne Tension ne fut pas encore en service, autrement ses collègues l’auraient vu décoller de son siège dans un détonnant feu d’artifice! Suite à cette coupure, notre chef de chantier junior aura le privilège de faire son premier raccord par boîte de jonction, de refermer la tranchée, d’entendre une explosion lors de la mise sous tension, et de rouvrir pour réparer à nouveau.
Des complexités techniques: Dès le départ notre bureau d’études avait sous-estimé la partie technique du projet. C’est en nous rendant sur le terrain que nous nous rendîmes compte des efforts supplémentaires que nous aurions à fournir pour parvenir à nos fins.
- Travail en pleine zone marécageuse ; Chose plutôt rare pour un littoral, me direz-vous […] La difficulté ici fut de trouver le matériel et l’expertise adéquate pour nous seconder dans l’important travail de terrassement qui s’annonçait. Toutefois Bata subissait la conséquence de trop de demandes et peu d’offres, c’est-à-dire une pénurie d’engins de chantier disponibles, si bien que la majeure partie des opérations se déroulèrent sans sous-traitance dans un domaine qui n’est pas notre cœur de métier. Mais que voulez-vous, à l’export on s’adapte! Et puis nous attendîmes la réfection concomitante de la voie rapide du port pour commencer le travail dans certaines zones vraiment trop dégradées.
- Tout à l’heure je vous ai précisé que toutes les zones de traversée de route n’étaient pas à proximité de voies de circulation. Oui toutes, sauf une! La route du port. Cette voie rapide est l’artère économique de la ville, de ce fait elle est soumise à un trafic urbain très dense de 4×4, grumiers, camions-plateaux, et porte-containers. Sauter la clôture et traverser la route devient tout de suite une entreprise acrobatique périlleuse. L’idée première, pour passer sans douleur, fut d’employer l’engin de forage dirigé imputé sur le chantier voisin (autovia de Bata). Malheureusement après un premier carottage, l’échantillon nous apprit que le terrain dans cette zone était sablonneux. Terrain dont même la fusée pneumatique ne put en venir à bout (ce qui était inévitable selon l’universelle Loi de Murphy). Nous nous résignâmes donc à employer la scie asphalte, et je me résignais donc à réunir les éléments suivants: Une autorisation de travailler le dimanche de la délégation au Ministère du Travail; Une autorisation de sectionner la route du port émise par la délégation du Ministère des Infrastructures; laquelle permettant d’avoir l’autorisation et la coopération du ministère du trafic pour interrompre la circulation sur la dite-voie. Cette complexité technique dépistée suffisamment tôt nous permit de réunir les éléments dans les temps, d’obtenir les autorisations à l’arraché, pour ne pas gêner le déroulement du projet et respecter le planning initial.
- Appel de courant : Puisque nous sommes sur des projets d’électrification parlons d’électricité ! Nous nous heurtons ici à un problème d’électricité tertiaire apparu en fin de projet, non diagnostiqué lors de la mise en route des installations, et qui intervint durant la période contractuelle de « Vérification de Service Régulier ». Durant les courtes périodes où le palais est habité, le personnel de maison a pour habitude de faire tourner toutes les climatisations, ce qui ne pose pas de problèmes lorsque le régime est déjà établi et que la montée en charge des machines se fait progressivement. Néanmoins, lorsque le réseau urbain vient à plier et que le TGBT fait basculer les installations sur une autre source d’alimentation, il arrive qu’il se produise un fort courant d’appel, une surintensité transitoire principalement due à l’ré-enclenchement simultané de tous les blocs climatiseurs de la résidence, et qui a pour effet de faire disjoncter la sécurité générale. Voilà de quoi se faire réveiller avant le chant du coq le dimanche matin pour aller régler le panneau de contrôle du TGBT Schneider rayonnant d’un vert présidentiel, entouré par les techniciens de maintenance hystériques du donneur d’ordre. Pourtant, à cette heure-là, personne n’avait encore reçu de coup de chicotte…
Concluons cette partie avec les croustillants Intérêts divergents des parties prenantes: Au travers de ses 400 pages de prose bourrative, le corpus des connaissances en management de projet (PMBoK guide) nous apprend avant tout de choyer ses parties prenantes, et nous n’insisterons jamais assez sur ce sujet. En effet, un projet est avant tout une chose humaine, ou tout du moins insufflé par une volonté humaine, et le monde du travail – le business – est d’abord un monde de relations humaines avant toute considération technique. Et une majorité de projets avortés, interrompus, ou prématurément clôturés, sont la conséquence -je le crois- de volontés contradictoires. Choyons-les donc:
- Entrer dans la zone de haute sécurité ; figurez-vous que se garer à côté de l’hélicoptère présidentiel -ainsi que des jeeps vertes et des VAB- a un coût. D’une manière générale les gardes furent peu enclins à collaborer, ou à laisser rentrer des containers de 40 pieds dans l’enceinte palatine (surprenant n’est-ce pas?). La régularité officielle du Marché ou de nos documents contractuels et douaniers ne nous permirent jamais de franchir la porte. Nous apprîmes l’existence de laisser-passer plus spécifiques, mais nous comprîmes que la langueur des démarches administratives entre la Villa PAC et le Chef de la Sécurité Présidentielle finirait pas avoir raison de nous et de nos pénalités de retard. Faute de tampon officiel, nous nous résignâmes à payer un droit de passage arbitraire, dont le montant pouvait fluctuer selon la relève, l’humeur de chacun, et notre propension à marchander.
A partir de là, tout fut un bon prétexte pour parasiter notre travail quotidien, nous escorter, mieux nous surveiller, ou s’asseoir sur la banquette arrière du pick-up. Chaque convoi nécessita de louer les services d’un officier dont le grade fut proportionnel à la longueur du container à faire rentrer. Malgré cette apparente coopération l’équilibre était fébrile, et chaque matin les équipes se demandaient si elles allaient pouvoir ne serait-ce que commencer leur travail. Si bien que j’optai finalement pour transférer ce risque de paralysie sur la personne de José. Joseph -il aimait qu’on francise son nom- comptait parmi les responsables de la sécurité présidentielle. Son appui, et sa généreuse corpulence, facilita grandement notre travail et la transparence comptable de la caisse de chantier, car, contrairement aux antérieurs droits de passage, le contrat qui nous liait n’était pas tacite mais officiel, et joseph recevait chaque mois un bulletin de paie et signait son reçu. Cette complexité opérationnelle et le manque de soutien administratif de notre donneur d’ordre passèrent pour vice caché, et un nouvel avenant fut conclu pour couvrir la hausse du budget de l’exécution des travaux et des retards accumulés.
- Subversion interne: Comme le projet était jugé de faible envergure et techniquement peu élaboré, le siège eut la bonne idée d’envoyer un élément connu pour son comportement problématique, faute de mieux. Au fil des semaines, ce chef de chantier se révéla hypocondriaque et sociopathe, puis pour finir kleptomane. Personnage ambigüe et ambivalent, trop ancien pour ne pas être le “Grand Chef”, il préconisa ses solutions techniques juste pour ralentir le projet (là où d’autres voient qu’il tentait simplement de camoufler son incompétence). Il finira par se retirer suite à des actes de maltraitance envers nos experts techniques venus tout droit du Maroc pour lui prêter main forte. Sociopathe, son jeune successeur le fut tout autant, mais dans un autre registre, ce qui fit que nous nous entendîmes à merveille.
8. Clôture du projet :
Malgré le retard accumulé à cause des complexités locales et des problèmes de ressources en interne, le projet fut techniquement bien exécuté grâce à l’effort de chacun, et la mise en route se passa sans encombre. Je pu assister à la vérification de service régulier d’un an, avant réception officielle du projet, et mis à part cette intervention isolée de recalibrage des dispositifs de coupure électrique nous n’eûmes pas à noter un quelconque dysfonctionnement des infrastructures. De plus une grande partie des retards et des pénalités furent épongés par l’avenant signé avec le donneur d’ordre. Je peux donc conclure en affirmant que ce projet fut une réussite, tout au moins technique.
Toutefois, notre département commercial n’a pas su tirer profit de cette référence. Je sais qu’aujourd’hui, en 2013, l’activité est gelée sur la partie continentale. Nos décideurs, en s’engageant dans le projet, ont sans doute surévalué la ploutocratie présidentielle et sous-estimé les intermédiaires et les enjeux réels de l’attribution de marchés. Quoi qu’il en soit, et malgré mes recommandations, vu l’agent commercial qui opérait pour nous dans la sous-région, ils n’avaient certainement pas saisi toutes les spécificités locales du Marché équato-guinéen
Si l’objectif était de réaliser ce projet pour mieux pénétrer le marché, alors l’objectif n’a pas été atteint. Probablement n’est-ce pas un objectif S.M.A.R.T. […].