Analyse des facteurs macro-environnementaux
L’adage “think global, act local” a fait des émules jusque dans le monde des affaires: Travailler à l’étranger requiert de prendre en compte les spécificités locales et de s’y adapter pour rester dans la course. La création de mon poste en expatrié souligne la volonté d’Eiffage de respecter les règles du jeu équato-guinéennes. Autant dire que connaître la Guinée Equatoriale c’est presque ma compétence principale. Autant dire que je suis intarissable sur le sujet. Au delà de la source d’anecdotes inépuisable, cette expérience m’a permis d’acquérir une réelle connaissance du tissu économique local, d’appréhender le fonctionnement des institutions, et de me heurter aux rouages législatifs de la région.
Pour que cet article garde une cohérence par rapport à la gestion de projets, et pour ne pas digresser d’anecdotes en anecdotes, j’articulerai cette présentation du pays sur l’analyse des facteurs macro-environnementaux dite “PESTEL”, afin que vous puissiez appréhender le contexte équato-guinéen de la conduite de projets.
Politiques:
Comme facteurs macro-environnementaux de premier ordre, parlons des facteurs politique. Politiquement la Guinée Equatoriale est stable. Tous les pays de la sous-région ne peuvent pas s’en vanter! Stabilité garantie depuis plus de 34 ans par son excellence M. Teodoro OBIANG NGUEMA MBASOGO, en fonction depuis le renversement du pouvoir par le fameux “golpe de libertad” du 3 août 1979, comprenez “coup de la libération”. Son excellence, réélue en 2008 pour sept ans, brigue actuellement son quatrième mandat démocratique, sous l’œil circonspect des observateurs internationaux. C’est malheureux à dire mais parfois le maintien de régimes autocratiques garantissent la stabilité d’un pays. Selon la tendance actuelle Obiang initierait une transition du pouvoir vers son fils, Teodoro NGUEMA OBIANG MANGUE surnommé “Teodorin”, le favori de la Première Dame. Ce dernier a été intronisé vice-président du PDGE en 2011 -le parti politique fondé par le président- puis il devient vice-président de la république en 2012.
Toutefois à cause des déboires judiciaires qu’on lui attribut en France pour des biens mal acquis, ainsi que pour les autres procédures en cours aux Etats-Unis, cette tendance de transition semble se calmer. En effet, Teodorin a été rétrogradé de vice-président du PDGE à président de l’organisation des jeunes du PDGE: ASHO.
Bien que le nom du successeur ne soit pas connu avec certitude, il est sûr que la fin du règne de Obiang approche et que la transition pourrait bien s’accompagner du phase d’instabilité politique forte défavorable aux investissements étrangers. Le premier défit du nouveau président sera de s’attirer les faveurs de l’oligarchie locale.
Économiques:
D’un point de vue macro-économique la Guinée Equatoriale fait envie, avec son taux de croissance fort, parfois à deux chiffres. Malheureusement ce fort taux de croissance est maintenu artificiellement par l’activité pétrolière qui ne profite que peu à la population locale.
L’exploitation des nappes de pétrole par des entreprises étrangères génèrent d’important revenus dans les caisses de l’état. Des flux financiers auxquels la population ne contribue que de manière très marginale. Cette manne se disperse dans des réseaux de financements occultes, où chacun prend sa part, avant d’être réinvestie pour servir les projets d’infrastructures et de modernisation du pays. Encore une fois, ces projets sont majoritairement attribués à des entreprises étrangères, les entreprises équato-guinéennes n’ayant pas pour l’instant, ni la santé financière, ni l’appareil de production, ni la stabilité, pour les assumer. Si bien qu’il n’y a pas vraiment de redistribution des richesses ni d’ascenseur social. De fait le tissu économique équato-guinéen reste très pauvre, avec une main d’œuvre très peu qualifiée, et souffre d’un fort taux de chômage, notamment chez les jeunes.
A ce sujet, les propos tenus par le président lors d’un entretien à la BBC sont désarmant: “Il n’y a pas de pauvreté en Guinée Equatoriale […] il s’agit seulement une minorité de gens qui veulent vivre de manière traditionnelle.”.
A cause de cette offre très faible, réaliser des projets en Guinée Equatoriale signifie souvent avoir recours à du personnel et des prestataires extérieurs pour combler le manque de compétences locales.
Socioculturels:
De l’influence des facteurs socioculturels sur le monde professionnel, je vois trois points importants.
Tout d’abord, l’engagement verbal : L’engagement verbal est une pratique très rependue en Guinée Equatoriale. Par exemple, si vous avez un envoi urgent à faire, vous pouvez vous diriger vers l’aéroport et confier votre paquet à un passager d’un vol infra-national, qui s’engagera à le remettre à votre destinataire à l’atterrissage en échange d’un petit billet en guise de récompense. Cet intermédiaire, il ne vous connait pas, vous ne le connaissez pas, il ne connait pas le contenu du colis, pourtant il va s’engager à vous rendre ce service, et plus fort encore il va vraiment le faire! A notre époque, il parait fou qu’un accord soit conclu sans que les parties n’aient aucune garantie.
Il est vrai que dans notre monde hyper-connecté et libéral, où nous nous sentons exposés à la filouterie et à l’escroquerie, nous cherchons toujours plus de sûreté. Il faut pourtant avoir l’intelligence de s’adapter aux usages locaux et en tirer parti, que ce soit d’accepter de confier un colis à un passager sur un vol interne ou de faire suivre par un intermédiaire un dossier administratif pendant plusieurs semaines. L’important est de savoir évaluer le risque, et de l’accepter tant qu’il reste modéré.
Deuxième point: le rapport à l’économie. Il faut souligner que l’état équato-guinéen n’est entré qu’en 2000 sur le marché mondial de la compétitivité économique. Jusqu’alors enfant pauvre de l’Afrique et humiliée par une dictature sanguinaire, c’est la découverte du pétrole qui marquera le vrai boom de l’activité économique du pays. Voila donc à peine dix ans que les équato-guinéens sont confrontés à l’industrie occidentale, à sa culture de la rentabilité, de la productivité et du taux horaire. Là où avant chacun partageait ce qu’il avait à offrir à la communauté, avec sa famille et sa tribu, maintenant l’individualisme capitaliste octroi uniquement à chacun le fruit de son propre travail selon un taux horaire fixé par le gouvernement en fonction d’indicateurs socio-économiques. Voila un concept est bien difficile à digérer pour les populations locales. Il n’est donc pas rare de voir un employé demander son salaire alors qu’il n’est pas venu travailler ou tout simplement demander de l’argent “parce que l’entreprise en a beaucoup, alors pourquoi ne pas lui en donner un peu?” Incompréhension interculturelle. Pour bien mener son projet dans ce pays, il faut donc faire preuve de pédagogie et garder en permanence à l’esprit que, bien que nous n’agissons pas selon les mêmes concepts économiques, nous pouvons pourtant nous fédérer ensemble et travailler à l’atteinte d’un but commun.
Enfin, dernier point “last but not least”: la valeur ethnique. Dans ce pays principalement fang, appartenir au groupe ethnique majoritaire garantie un traitement privilégié. C’est une vérité, on peut s’en offusquer; toujours est-il que pour faire avancer son projet et obtenir de bons résultats, il vaut mieux faire avec et adapter son mode de travail aux coutumes locales. On ne le dira jamais assez. Beaucoup d’entreprises, même des grands groupes, ne réussissent pas sur des marchés internationaux parce qu’elles ne savent pas s’adapter aux particularités régionales.
Avoir un porte-parole Fang améliore le dialogue avec les ouvriers et facilite énormément le travail avec les acteurs gouvernementaux. Il est conseillé officieusement à toute entreprise de recruter au moins un homme de paille fang équato-guinéen pour communiquer avec la fonction publique. De même, avoir des liens forts – ou tarifés – avec une personne introduite dans la nomenklatura locale permet de débloquer de nouveaux contrats. Pour l’anecdote: l’attribution de marchés sans mise en concurrence entraine la non-régulation des offres par le Marché, et a eut pour conséquence logique l’énorme hétérogénéité des prix des projets en Guinée Equatoriale. D’un titulaire de marché à l’autre, le prix du m3 de béton pouvait doubler ou tripler ! Pour faire face à cette situation invraisemblable, le ministère des infrastructures lança en 2010 une campagne d’harmonisation des prix de ses marchés et de justification de ses dépenses, par le développement d’un logiciel (BPOEGE / 10) qui servira par la suite d’index tarifaire pour la facturation des entreprises titulaires. Oui ! c’est le monde à l’envers.
Technologiques:
Pour appréhender les facteurs macro-environnementaux technologiques, il faut d’abord comprendre l’histoire de la Guinée Equatoriale dans ce domaine. Le pays est passé d’une importante activité de production et d’exportation de cacao, à l’époque de la Guinée Espagnole, à une agriculture vivrière, voire de survie, durant la période de terreur imposée par Francisco Macías Nguema. Ce n’est qu’en 2000 avec la découverte d’importantes réserves de pétrole, que le pays revient véritablement vers un secteur d’activité primaire par l’extraction de ses ressources naturelles.
Par conséquent, l’effort gouvernemental est surtout mis sur le transfert technologique et transfert de compétences pour le secteur pétrolier, en réalisant des partenariats avec des sociétés étrangères pour d’une part exploiter les gisements et d’autre part former du personnel équato-guinéen afin de mettre en place des exploitations nationales. La R&D ne semble pas être une priorité pour le gouvernement. La recherche universitaire est quasi-inexistante selon un rapport de notre ministère des affaires étrangères. Bien qu’il existe quelques actions entreprises dans ce sens. Citons le partenariat de recherche avec l’IRD pour mettre en valeur la biodiversité locale, ainsi que la création du polémique prix “UNESCO-Guinée Equatoriale” récompensant de 300.000 dollars USD la recherche en sciences de la vie.
Si recherche il y a, c’est avant tout une recherche d’autonomie. Le pays reste encore très dépendant des nations étrangères, dans tous les domaines, qu’il soit militaire, énergétique ou des infrastructures. Le transfert de compétences, l’acquisition de technologies extérieures, et l’accompagnement prodigué par les entreprises étrangères sont donc les priorités technologiques du gouvernement. Il n’y a que très peu de place pour la recherche et l’innovation en Guinée Equatoriale, pour l’instant.
Écologiques:
Facteurs Climatiques: il ne faut pas s’y tromper, le climat n’est pas tropical mais équatorial. Comprenez qu’il n’y a pas réellement de démarcation franche entre une saison sèche et une saison des pluies contrairement aux pays tropicaux. Il est même question de saison unique, toutefois j’ai pu remarquer deux périodes de fortes précipitations autour des mois de novembre et de mars, ainsi qu’une petite saison sèche en juillet-août où la température baisse significativement. Les précipitations sont fortes et continues sur la région Malabo (la capitale politique sur l’île atlantique Bioko), où l’on peut passer plusieurs mois sans voir une éclaircie, tandis que Bata (la capitale économique située sur le littoral continental) est bien plus épargnée. La province « Litoral » regarde défiler les nuages chargés de pluie qui partent s’écraser à l’intérieur de pays. Pour mener à bien une activité économique en Guinée Equatoriale, le climat est évidemment un facteur de premier ordre à prendre en compte.
Les fortes précipitations peuvent nuire aux opérations de chantier (terrassements, bétonnage, pose de matériaux sensibles), tandis que le taux d’humidité élevé et la forte exposition solaire peuvent endommager les structures sur le long terme, en accélérant sensiblement leur vieillissement, s’ils ne sont pas conçus pour supporter ces conditions extrêmes.
Politique écologique: Bien que le pays promeut son environnement et sa biodiversité, gouvernement y voyant une force touristique (comme le parc écologique de Monte Alen) et une piste de recherche scientifique, toutefois la politique écologique de préservation de l’environnement semble quasi-inexistante ou tout du moins elle est invisible à l’œil nu du citoyen moyen. Durant toute ma résidence en Guinée Equatoriale, je n’ai vu aucune mesure concrète en faveur de l’environnement.
Il faut comprendre que le pays accuse un retard important en ce qui concerne les infrastructures vitales pour le développement d’une nation (Infrastructures routières, sanitaires, médicales, universitaires, et énergétiques), et naturellement « tout » est mis en œuvre pour combler ces manques et donner à la Guinée Equatoriale la splendeur qu’elle revendique. Face à cet enjeu la préservation de l’environnement est un sujet de second plan.
Ainsi la déforestation va bon train pour faire place aux grands projets d’infrastructures. Citons quelques exemples où l’environnement succombe face à la vanité:
- Oyala – Construction d’une nouvelle capitale politique au cœur de la forêt équatoriale;
- Autoroute Bata-Mongomo – Dix d’années de dynamitage, terrassement et déforestation pour faire à long terme de Bata le nouvel axe logistique de l’Afrique Centrale;
- Station balnéaire de Corisco – Cette île de 14m², petit paradis de sable blanc classée réserve naturelle, disposera bientôt de son propre aéroport (!) afin d’accueillir les touristes dans son luxueux complexe hôtelier.
Toutefois, des mesures sont prises en matière de préservation de l’environnement. L’année 2010 aura vu la construction d’une station d’épuration à Bata, ainsi que le déploiement d’une flotte de camions-bennes pour récolter les déchets ménagers du centre-ville : La valorisation des déchets commence à faire des émules.
Saluons aussi la construction du barrage hydroélectrique à Djibloho, sur le fleuve Wele, qui ouvre une sortie porte de sortie à la totale dépendance du pays aux énergies fossiles. Un deuxième projet de barrage serait d’ailleurs déjà engagé.
Bien qu’en progression, nous ne pouvons pas dire que l’écologie soit ancrée dans les mœurs des citoyens équato-guinéens. Un ami me rapportait qu’il se désolait auprès d’un collègue équato-guinéen de voir tant d’arbres abattus. Il fut répondu à cette sensiblerie: “Oh! Des arbres c’est pas ce qui manque!”.
Pour plus d’informations sur l’activité forestière, je vous conseille de consulter le rapport détaillé de forestsmonitor.org.
Légal et législatif:
Basé sur le modèle socialiste espagnol, le cadre législatif équato-guinéen est très protectionniste vis-à-vis de ses travailleurs et privilégie avant tout le marché national et sa main d’œuvre.
La pratique veut que tout contrat de travail soit enregistré auprès de la délégation du ministère du travail dont dépend votre entreprise. Les salariés, la plupart du temps embauchés en CDI, bénéficient de 30 jours de congés payés, d’une couverture maladie, de primes pour les jours de fêtes nationales et d’une prime d’indemnisation de licenciement qui s’élève souvent à plusieurs années de salaires selon l’ancienneté du salarié, surtout si le motif de licenciement est jugé non recevable par la délégation ministérielle.
Le travail temporaire est autorisé mais n’est pas encadré, ainsi un employé non contractualisé sera considéré comme un salarié en contrat CDI aux yeux de la loi en cas de litige.
Le contrat CDD existe, toutefois il est difficile pour une entreprise de réunir les conditions nécessaires à sa contractualisation (Nous parlons alors de contrats à durée de chantier).
Les entreprises étrangères s’accommodent de cette règlementation contraignante puisque la main d’œuvre en Guinée Equatoriale reste très bon marché par rapport aux montants des projets attribués et aux salaires des expatriés. Le salaire net mensuel d’un ouvrier non qualifié est de 150.000 Francs CFA (XAF), soit un peu plus de 200€. A ce titre la Guinée Equatoriale fait office d’Eldorado pour les pays d’Afrique de l’Ouest, où le salaire est parfois dix fois inférieur (Mali, Burkina Faso, pour l’exemple).
Malheureusement la législation est souvent transgressée par manque d’agents de contrôle et par la présence d’une corruption endémique, notamment chez les entrepreneurs locaux. Le taux de chômage élevé et le manque de sensibilisation des populations à leurs droits alimentent cette tendance. Malgré l’emploi reste précaire en Guinée Equatoriale.
L’implantation d’une entreprise étrangère sur le sol équato-guinéen est elle aussi soumise à une règlementation forte. En plus des démarches administratives habituelles (inscription au registre du commerce, autorisation d’implantation, etc.), Le gouvernement exerce une pression sur les entreprises afin d’introduire des capitaux dans l’actionnariat. En effet, l’entreprise qui ne justifie pas d’une activité temporaire ne peut exister que sous la forme de filiale et doit ouvrir son capital à l’actionnariat équato-guinéen. Nombreuses sont les entreprises détenues en partie par la famille présidentielle, citons General Works, Ecocsa, Ceiba, Abayak, Egtc, ainsi que de nombreux projets immobiliers à travers le pays. Autre réglementation notable, la masse salariale de l’entreprise sur le sol équato-guinéen doit être composée d’au moins de 75% d’équato-guinéens.
Enfin toute filiale de groupe étranger doit construire un siège social en Guinée Equatoriale, dont le plan doit être validé par le ministère des infrastructures. Le but affiché étant de doter le pays d’infrastructures neuves sans avoir à verser un seul franc CFA d’argent public: ” En outre, ces entreprises doivent avoir leur siège social construit sur place parce que quand ces entreprises vont partir de la Guinée équatoriale, les bâtisses vont rester au profit des Equato-guinéens.”
Un schéma valant mieux qu’un long discours, je vous propose de conclure cette analyse des facteurs environnementaux du pays par un tableau synthétique des points marquants: