Suministro eléctrico del Pico de Basile – Línea 33KV
Pour clore la série d’articles sur mes années de gestion de projets en territoire équato-guinéen, j’évoquerai le « Pico Basile », qui fait partie des projets majeurs accomplis par notre entreprise pour le compte de la bannière quadricolore.
1. Périmètre du projet:
Le projet « Suministro eléctrico del Pico de Basile – Línea 33kV », comprenez « Alimentation électrique du Pico de Basile – Ligne 33kV » vise à électrifier le piton volcanique de Bioko Norte, plus haut sommet de l’île et du pays tout entier, et même des pays alentours hormis le Cameroun.
Je n’ai malheureusement pas eu une implication très forte dans le projet, étant moi-même basé à Bata et le projet se déroulant à Malabo, je ne gérais que la logistique intra-nationale, l’approvisionnement de certains consommables en pénurie sur l’île, et un tragique accident du travail.
Je ne dispose donc pas de toutes les informations relatives aux ouvrages réalisés. C’est pour cela que, contrairement aux autres articles, vous ne verrez ici ni diagrammes détaillées ni listes exhaustives.
Bien que ma contribution n’ait été que modeste, je me devais de consacrer un article à ce projet car il marqua un tournant dans l’implantation de la succursale de Eiffage en Guinée Equatoriale. Il s’agit là du premier contrat d’envergure signé localement (Plusieurs milliards de Francs CFA), et paradoxalement il s’agit aussi de nos premiers déboires financiers. Oui, ce projet fut un fiasco : le budget fut largement dépassé et les retards culminèrent à 11 mois de délai; Pourtant notre groupe s’évertua à le mener jusqu’à son terme. S’agissant d’une œuvre jugée stratégique par l’état équato-guinéen, échouer nous coûterait notre place sur le marché nationale. Alors notre entreprise préféra persévérer et honorer son contrat, malgré les pertes difficiles à digérer pour le conseil de direction. Mais il vaut mieux ça que de se voir fermer les portes de la distribution électrique équato-guinéenne.
2. Contexte:
Je vous invite à consulter l’article consacré à la Guinée Équatoriale.
3. Objectifs:
L’objectif primaire du projet est d’alimenter en électricité la base militaire et la station radar culminant à 3000m, situées au sommet du Pico de Basile, tous deux jusque-là en autarcie. Pour assurer cette distribution, une ligne électrique moyenne tension 33Kv est prévue.
En plus d’alimenter la cime du pic, pour la gloire d’une mégalomanie martiale discutable, le projet prévoit d’alimenter en électricité les bienheureux villages disposés le long du tracé de la ligne électrique. Nous retiendrons principalement les noms de Rebola et Baney.
Ce qui compte à mes yeux dans de tels projets n’est pas l’intérêt gouvernemental direct, mais les effets de bord qui profiteront à la population. Un proverbe africain dit : « Là où la route passe, le développement suit ». C’est ce sentiment d’œuvrer pour le bien commun qui me donne envie de me lever le matin.
4. Livrables:
Pour l’alimentation en énergie électrique du Pico Basile, et pour l’électrification des localités jusqu’à Baney, le projet se formalise autour des livrables suivants:
- Déforestation et élagage;
- Terrassements et excavations;
- 5 km de Câble souterrain BT
- 15 km de Câble souterrain MT
- Structures métalliques
- 35 km de Câble aérien MT
- 10 km de Câble aérien BT
- 10 Locaux de transformation électrique;
Bien que je n’ai pas été dans la confidence des négociations, cette prestation se chiffre aux environs de 15.000.000.000 Francs C.F.A (XAF), soit environ vingt millions d’euros de monnaie scripturale. Cependant, comme je l’annonçais en début d’article, malgré la grosseur de son enveloppe budgétaire, la marge bénéficiaire sur celui-ci se réduira comme peau de chagrin.
5. Planification du projet:
Ce projet ambitieux prévoyait une réalisation à 18 mois. A l’origine, le bureau d’études était plutôt content de cette négociation. Estimant à un an l’effort nécessaire pour abattre le gros du projet, avoir un provision de 6 mois était un luxe rare leur permettant de rectifier toute erreur commise sur le chantier. Il est vrai que la prudence fut de mise car le contexte était sensible: Tracé sinueux; pente à 10% et plus; roche volcanique; forêt équatoriale. Bien que le projet soit simple (les techniques de distribution électrique MT n’ont rien d’avant-gardiste) son exécution nécessite de mettre en œuvre des moyens considérables, car le terrain fortement pentu complique les techniques de travail. Les travaux d’excavation, de tranchés, de pose de câble et d’ancrage des mâts se complexifient lorsqu’il s’agit de creuser la roche basaltique, des moyens plus importants doivent être mis en œuvre.
Dans cette liste des contraintes, n’oublions pas l’effort de déforestation – mal nécessaire – qui s’avèrera parfois titanesque.
Ainsi à cause de ce contexte montagneux, volcanique, et équatorial même des actions simples peuvent s’avérer longues et complexes. Le respect des délais est donc dès le départ ressenti comme un enjeu important.
Nous verrons malheureusement que le chantier accusera un retard considérable à cause d’une erreur grossière qui se glissa lors de la planification du projet.
Débuté en novembre 2008, prévu pour juin 2010, il ne s’achèvera dans les faits qu’en mai 2011 avec onze mois de retard.
6. Exécution des travaux:
Les forces à mobiliser sur ce projet sont importantes. Les missions sont nombreuses et les théâtres d’opérations multiples. Il m’est difficile d’estimer avec certitude l’effectif total des troupes, toutefois de mémoire visuelle je me souviens que la police d’assurance pour risques de chantier, souscrite par notre Directeur Administratif et Financier, était prévue pour couvrir jusqu’à cent personnes.
Pour les missions à accomplir, nous pouvons compter plusieurs équipes agissant quasiment toutes en parallèle:
- Equipe d’Elagage;
- Travaux de terrassements et d’excavation;
- Préparateurs électriques;
- Equipe de génie civil;
- Pose de poteaux;
- Equipe de tirage de câbles aériens;
- Equipe de tirage de câbles souterrains;
- Electriciens;
- Opérateurs logistiques;
- Mécaniciens.
Les théâtres d’opérations se divisaient ainsi:
Le tracé du Pico de Basile;
La distribution électrique vers Rebola;
La distribution électrique vers Baney.
Ces éléments mis en lumière, le personnel employé sur les chantiers pouvait s’élever saisonnièrement à quatre-vingt personnes. Une telle force salariale nécessite de mettre en place et suivre des tâches d’intendance en plus du reste !
Une cantine ainsi qu’un service de transports furent déployés. Les locaux furent aussi améliorés et annexés dans le respect de la règlementation locale du travail afin d’offrir de bonnes conditions de travail à nos employés. Tout cela permet, entre autres, de garder une cohésion au niveau des équipes et d’éviter que les travaux soient perturbés à cause des besoins élémentaires de nos collaborateurs.
7. Management des risques:
“MOE”: Une fois n’est pas coutume, nous n’avons jamais eu à nous plaindre de notre maitre d’œuvre canadien, fer de lance de GEMACOR. Naïf, je dirais que comme nous avons collaboré de manière professionnelle, il ne peut y avoir de heurts. Sceptique, je soulignerais la capacité de notre chef de chantier, après trente ans d’expatriation en Afrique, à arrondir les angles face à un auditeur conciliant; terreau fertile propice aux arrangements tacites.
Ingénierie: Plus tôt j’évoquais une “erreur grossière” qui retarda lourdement le projet. Cette erreur n’est autre qu’une simple étourderie survenue lors de la définition du tracé de la ligne MT. Pour installer une ligne électrique aérienne il est indispensable de réaliser au préalable une batterie de calculs mathématiques pour modéliser les forces qui vont s’exercer sur les pilonnes supportant les câbles électriques. Ceci fait, le bureau d’études est en mesure de dresser les plans de la structure répondant à ces exigences de résistance mécanique. Malheureusement, l’acte anodin d’exploiter les relevés topographiques du Pico de Basile en y associant un point de référence erroné eut pour effet de complètement fausser les calculs de mécanique du bureau d’étude. Personne ne put s’en douter jusqu’à la suspension des lignes électriques aériennes.
Lorsque les ouvriers s’attelèrent à tendre les câbles, dont le poids fut amplifié par la pente et les virages en épingle, les pilonnes cédèrent un à un sous la charge écrasante des lignes électriques.
Les conséquences étaient désastreuses. Des centaines de milliers d’euros de matériels gaspillés, des mois de retard sur l’échéancier prévu, et une mauvaise publicité garantie, un travail à perte sur toute la ligne, si je puis dire. Pourtant si l’entreprise ne souhaitait pas perdre la face et assurer sa place sur le prometteur marché équato-guinéen, il fallait continuer mais cette fois sans le responsable des études !
Accident du travail: Je me souviens de ce jour. J’avais fini tôt et je préparais mon sac pour me rendre au ring de Boxe. Soudain mon téléphone sonne, je me souviens avoir soupiré, exaspéré de me faire harceler en dehors des heures de bureau. Cette fois c’était Bonifacio, ce qui me surprit car ses appels étaient plutôt rares. “Un employé a été hospitalisé d’urgence à la clinique Guadalupe de Malabo, ils le transférèrent à La Paz en avion. Il faut que tu ailles à l’aéroport, ils attendent et ne trouvent pas l’ambulance” furent à peu près ces mots traduits de l’espagnol. Que pouvais-je faire? Je ne suis ni ambulancier, ni chirurgien. “C’est grave, tu es le représentant de l’entreprise, tu dois être là.”
Après plusieurs va-et-vient épiques, je fus finalement reçu vers 20h par le directeur du Centro Medico La Paz de Bata, clinique privée israélienne, qui m’expliqua sans détours l’état de santé de Casimiro, après quoi je pu aller à son chevet. Sa mère et son frère était déjà là, il était allongé sur le lit, le ventre enflé, une minerve soutenant sa tête. Que pouvais-je dire à cet homme? Quelques heures plus tôt une gigantesque souche d’arbre morte s’effondrait sur lui, et selon le directeur du centre hospitalier sa colonne vertébrale était touchée. Ses chances de survie étaient minces. Si une opération lui permettrait de rester en vie, le risque de paraplégie serait fort, et malheureusement pour l’instant son état n’était pas assez stable pour permettre une intervention.
Annoncer des mauvaises nouvelles n’est jamais facile, alors je me présentai simplement. Qu’en tant que représentant de l’entreprise sur la région continentale, j’étais là pour l’accompagner dans ces moments difficiles et veiller à ce qu’il soit correctement traité. J’éprouvais bien des difficultés à soutenir son regard, celui de sa mère, et celui de son frère. A ce poids s’ajouterait bientôt celui de sa femme et de son bébé; bien qu’ils ne m’aient fait aucuns reproches, je supposais qu’à leur yeux j’étais la personnification de l’Homme blanc, le bouc-émissaire de tous les maux de l’Homme noir.
Je venais le voir souvent, quasiment tous les jours. Nous commencions par parler de son état, puis nous digressions et nous discutions de tout. De ses années de travail au Gabon pour fuir la misère, de sa pratique du français, de mon apprentissage de l’espagnol, de Malabo, de sa famille à Bata, des traditions fang […]Mais je ne restais jamais longtemps, je ne souhaitais pas leur imposer la présence d’un étranger. J’éprouvais une grande tristesse et une profonde sympathie pour cet homme que je ne connaissais pas. Je me donnais toujours une contenance face à lui, mais une fois sorti je pleurais à chaque fois.
Au bout de deux semaines, il préféra se retirer pour finir ses jours dans sa famille. Lorsqu’il mourut, et selon la tradition Fang, sa femme passa sous la tutelle de son frère et devint sa propre femme. Grâce à l’assurance souscrite par notre DAF, elle fut indemnisée à hauteur de cinq ans de salaire pour le décès de son époux. L’entreprise se chargea de tous les frais liés à l’hospitalisation de Casimoro. La facture émise par l’hôpital atteignit les 20.000.000 francs CFA.
Une enquête minutieuse de l’inspection du travail montra que les mesures de sécurité règlementaires avaient été prises, si bien que la responsabilité de l’entreprise fut écartée dans ce tragique accident. L’abattage d’un arbre fit vaciller un arbre adjacent, dont la base était vermoulue, causant ce regrettable incident.
Logistique nationale: Dernier aspect important que j’eus à gérer sur ce projet fut l’approvisionnement du chantier de Malabo depuis Bata. Ponctuellement, l’île de Bioko était frappée de pénuries diverses, et il m’incombait alors d’affréter la marchandise depuis le port de Bata.
Ceci pourrait se résumer chronologiquement de la manière suivante: Autorisation d’embarquement et de débarquement, déclaration douanière D3, quittance de l’administration du port, réservation du fret; conditionnement de la marchandise, chargement, et transport; inspection douanière à l’entrée, location de grue pour le chargement et le déchargement à quai; je laissais l’inspection de sortie du port à mon mentor Benjamin basé à Malabo.
Avec l’accoutumance, cela parait être un rapide parcours de santé, mais c’est en réalité un pénible parcours du combattant jonché de lenteurs administratives où il est nécessaire de rallonger le prix pour faire avancer le dossier; de transporteurs rares souvent bondés; et de ports engorgés. Il a parfois été nécessaire de transmettre l’outillage par avion tant le transport maritime était saturé. Bien que le fret aérien équato-guinéen soit plus cher que le maritime, il est naturellement plus rapide, et bien moins surveillé par les douanes, l’administration y est moins dense et moins corrompue. Ce qui par bateau peut prendre une semaine à préparer et presque deux semaines pour être livré “Delivered Duty Paid”, peut se faire en deux jours par avion.
8. Clôture du projet:
Les derniers travaux de finition arrivèrent à leur terme au printemps 2011. L’effondrement de la ligne aérienne retarda au total la livraison du projet de 11 mois.
Il faudra attendre encore un an pour que la succursale équato-guinéenne renoue avec les projets de grandes envergures. En 2012, celle-ci obtiendra le projet électrification basse tension de la ville de Malabo, en lotissement avec un installateur chinois. Tout comme le reste de l’Afrique, les chinois ont largement investi le territoire équatoguinéen. Une part importante des projets gouvernementaux leur sont attribués. Parce qu’ils sont moins chers, parce qu’ils peuvent être payés en biens immobiliers plutôt qu’en monnaie scripturales, et parce que la Chine soutient financièrement la Guinée Equatoriale.
Ce projet d’électrification basse tension consistera à raccorder les usagers au réseau électrique. C’est donc un projet de petites mains sur deux ans, comptant probablement des centaines de milliers de raccords. Cela me semble titanesque, autant par le nombre d’ouvriers électriques qualifiés à superviser que par le nombre de lignes électriques à tirer.
Connaissant l’urbanisation de Malabo qui frôle l’absence de plan d’urbanisme selon les quartiers, tirer des lignes électriques soulèvera assurément des problèmes de propriété privée.
je n’aurai pas le plaisir de participer à ce projet, puisque j’arrêtais l’aventure équato-guinéenne quelques mois plus tôt pour rentrer en France me consacrer à ma famille.
Je reste néanmoins avec cette nostalgie de n’avoir été là pour orchestré ces grandes manœuvres qui, je n’en doute pas, auraient fait couler beaucoup d’encre.